LA FAMILLE en philosophie (2)

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Amour


C’est l’amour qui unit les êtres entre eux. La vie de l’homme tient son dynamisme de l’amour[1]. Or, on distingue plusieurs sortes d’amour. Les termes de ces distinctions sont empruntés au vocabulaire de la philosophie aristotélicienne, mais ils ne font qu’exprimer l’expérience et le sens commun. On distingue d’abord l’amour de concupiscence ou de convoitise, et l’amour d’amitié :
« Comme dit Aristote : ‘Aimer, c'est vouloir du bien à quelqu'un.’ Le mouvement de l'amour tend donc vers deux objets: vers le bien que l'on veut à quelqu'un – pour soi ou pour un autre – ; et vers celui à qui l'on veut ce bien. À l'égard du bien lui-même que l'on veut à autrui, il y a amour de convoitise ; à l'égard de celui à qui nous voulons du bien, il y a amour d'amitié.
Or, cette distinction implique priorité et postériorité. Car ce qui est aimé d'un amour d'amitié est aimé purement et simplement, et pour lui-même ; ce que l'on aime d'un amour de convoitise n'est pas aimé purement et simplement ni pour lui-même, mais en vue d’un autre. […] L'amour dont on aime quelqu'un quand on lui veut du bien est l'amour pur et simple ; et l'amour que l'on porte à une chose pour qu'elle devienne le bien d'un autre est un amour relatif. » [2]
Pour donner un simple exemple : aimer le chocolat relève de l’amour de convoitise, aimer un conjoint relève de l’amour d’amitié (espérons-le !). Seul l’amour d’amitié implique la réciprocité et la connaissance mutuelle. L’amour pur et simple est l’amour d’amitié. On accordera sans peine que l’amour qui unit une société, en tout premier lieu la famille, est un amour d’amitié. L’amitié est constitutive du bonheur humain[3] et son acte propre est : convivere, vivre ensemble[4].




Amitié


(Voir notre article : L'amitié.)

Mais il faut encore distinguer trois sortes d’amitié[5]. Comme on l’a vu, l’amitié a deux objets : celui que l’on aime, d’une part, et de l’autre ce que l’on aime pour lui et en commun avec lui, considérant le bien de l’aimé comme le sien propre. L’amitié utilitaire porte sur un bien utile à chacun, un objet qui est désiré par tous les amis, non pour lui-même, mais en vue d’autres biens, qui eux, ne sont pas communs. Ce qui est commun, en l’occurrence, ce n’est pas le bien recherché ultimement, mais l’instrument, le moyen, qui permet d’accéder à d’autres biens, par exemple, l’argent ou la propriété foncière. Si la famille est fondée sur l’amitié utilitaire, elle se réduit à un arrangement matériel : on vit ensemble parce que c’est plus économique pour le logement, plus pratique pour la nourriture ou autre chose. Cela ne va pas très loin et obéit à des conditions matérielles bien instables.

L’amitié de jouissance porte sur le plaisir que l’on éprouve en commun avec les membres de la communauté. ‘Tu me plais, je te plais’. On trouve son plaisir sensible et affectif dans la compagnie de l’ami. C’est la délectation ou la jouissance qui est recherchée en commun. C’est déjà plus proche de la personne aimée que l’amitié utile, mais on en voit déjà les limites. Le plaisir sensible et affectif est instable et primaire. Cette amitié, qui existe chez les animaux, dépend des conditions corporelles et psychologiques qui sont susceptibles de changer facilement.

Il y a enfin l’amitié dite ‘honnête’, c’est-à-dire l’amitié noble. Le bien aimé en commun est alors proprement humain. Dans cette amitié les amis communient dans un ensemble de ‘valeurs’ ou de biens culturels, moraux, intellectuels, religieux. Ils se donnent ensemble à un idéal, à un but humain, voire supérieur, mystique. Seuls ces biens vraiment humains et supérieurs peuvent être dits communs par nature, communicables par nature. Un bien matériel est forcément individualisé ; la jouissance est individualisée dans le corps de celui qui jouit, même s’il a besoin de l’autre pour jouir. Un bien ‘spirituel’, et par nature immatériel, est donc de soi non lié à un individu et communicable. Cette amitié est plus stable que les précédentes de par la nature non-physique du bien recherché en commun : un bien physique est soumis aux conditions du monde matériel; un bien ‘spirituel’ est susceptible d’une certaine stabilité. On peut alors s’interroger sur l’amitié au sein de la famille en général, et d’une famille en particulier : est-elle fondée sur la jouissance ou sur un bien noble et supérieur ? Elle aura certes un caractère fort différent dans l’un ou l’autre cas, selon qu’elle relève d’une amitié de simple jouissance ou d’une amitié honnête.

Toutefois il ne semble pas convenable de considérer ces trois amitiés comme des entités séparées et incompatibles. L’homme n’est pas un pur esprit ; il a un corps, une sensibilité, une affectivité dont il ne peut faire abstraction. Une amitié durable nécessite une certaine communauté matérielle. Dans le cas de la famille en particulier, la 'convivence' quasi permanente, la dimension sexuelle de la vie humaine – dont nous parlerons plus loin –, l’aspect nécessairement corporel et affectif des actes humains, font qu’une amitié purement ‘spirituelle’, un mariage ‘idéologique’ (‘de raison’, purement ‘religieux’ etc…), rendrait la famille bien fragile. L’expérience le montre.

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[1] Saint Thomas, Summa Theologica I-II, 25, a2.

[2] Saint Thomas, Summa Theologica I-II, 26, a4.


[3] Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, VIII, l.1.


[4] Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, VIII, l.5.


[5] Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, VIII, l.3.