Le CHRIST-ROI


La fête du Christ-Roi est de celles qui, instituées tardivement, n’ont pas pour objet l’un ou l’autre des faits historiques ou des mystères de l’œuvre du Salut, mais une vérité dogmatique, un thème général ou une dévotion. En fait la royauté du Christ est omniprésente dans toute l’année liturgique, y compris le dernier dimanche de l’année qui a pour thème la royauté eschatologique du Christ dans son triomphe définitif au dernier jour. Mais le royaume du Christ n’est pas, ou pas seulement eschatologique. Il n’est pas seulement attendu ; il est déjà là.






L’objet propre de la fête célébrée le dernier dimanche d’octobre est la réalisation de ce Royaume dans les réalités temporelles, à savoir culturelles, politiques, économiques et familiales. Le Christ règne dès à présent en particulier sur les réalités temporelles ; telle est la raison de l’institution de cette fête, qui était inutile aux temps de Chrétienté.
« Malgré des affirmations si nombreuses et si solennelles de la puissance royale du Christ, contenues dans la sainte Écriture et dans la divine liturgie, sévit, depuis plus d'un siècle et demi, dans le monde civilisé, une funeste hérésie appelée libéralisme par les uns et laïcisme par les autres. Cette erreur est multiforme, mais consiste en somme à nier la suprématie de Dieu et de l'Église sur la société civile et sur les États qui, officiellement, se proclament indépendants de toute autre autorité supérieure. » [1]

En ces temps d’apostasie dominante, la doctrine exposée dans l’encyclique Quas Primas sonne étrangement à nos oreilles. On risque de la réduire à une simple dévotion, purement intérieure, considérant que les temps de Chrétienté sont révolus. On risque aussi d’en faire une idéologie irréaliste, sans prise sur la réalité actuelle, et de la réduire à des slogans amers de condamnation. Dans tous les cas on prend une mentalité de vaincus qui est une forme de libéralisme.



Il est vrai que l’Église et la Chrétienté - c'est-à-dire son enveloppe et son appui temporels - ne peuvent pas connaître en ce monde que des triomphes. Gustave Corção écrivait :
« Tout au contraire de ce qu’on imagine, le pouvoir et la consécration de l’Église au Moyen-Âge annonçaient sa propre inanition : cet âge fut une sorte de dimanche des Rameaux, juste avant la passion qui doit se continuer jusqu’à la fin des temps. » [2]

Mais en acceptant de passer par toutes les épreuves par lesquelles le Christ configure son Église à lui-même, nous devons voir dans cette fête tout autre chose qu’une invitation à une dévotion larmoyante et impuissante. Le malheur est que nous sommes dominés par un esprit de défaite, de catastrophisme, dans l’attente d’un châtiment ou d’un miracle, qui devrait tout résoudre. Nous donnons des raisons mystiques à notre lâcheté. Il ne s’agit pas de vivre dans la nostalgie de temps révolus, mais d’agir en chrétiens, aujourd’hui.

Quelle action concrète peut-on mener aujourd’hui pour le règne temporel du Christ ? Nous nous trouvons face à un monde qui est à la fois apostat, hostile au Christianisme, et en même temps barbare et ennemi de la civilisation. Nous sommes envahis par une pseudo-culture étrangère qui a détruit nos mœurs chrétiennes traditionnelles. Quelle forme de réaction peut être envisagée ?

Avant même de considérer une hypothétique restauration politique de la Chrétienté, et sans qu’il soit besoin d’une étude doctrinale approfondie : la défense de la Cité chrétienne commence, tout simplement, au niveau de la vie quotidienne. La civilisation consiste tout d’abord dans un certain style de vie, un certain art de vivre. La Civilisation Chrétienne commence dès lors par la simple politesse, qui est la fleur de la charité. Un chrétien respecte son prochain et se respecte lui-même comme image de Dieu, recréée et configurée à Jésus-Christ par le Baptême. Cela engage toute la conduite et toute la vie. Commençons par des choses élémentaires.

Par exemple :

Un « honnête homme », qu’il parle une langue officielle ou un dialecte, s’exprime de manière correcte et appropriée, évitant l’argot et sans multiplier les onomatopées... Un chrétien digne n’adopte pas les modes de mauvais goût, d’où qu’elles proviennent. Il met en ordre son habitation, l’aménage avec soin, l’orne d’œuvres de l’art chrétien. Il honore -‘cultive’- et, éventuellement, pratique les arts de manière chrétienne : littérature, musique, architecture, etc.
Réunions amicales et familiales sont autant d’occasion de vivre la culture chrétienne de manière concrète, et non livresque. La culture se trouve d’abord dans la famille et les communautés d’amis - réels -, avant d’être dans les livres et les salles de conférence. Elle n’est pas à confondre avec les productions issues du protestantisme et du romantisme, qui ont envahi le monde catholique au cours des derniers siècles, et qui envahissent parfois même des liturgies qui se veulent traditionnelles. On ne s’opposera pas à l’invasion et aux dangers de l’informatique, de l’audio-visuel et des télécommunications par des interdictions et des répressions. Plutôt que de diaboliser, il vaudrait mieux user de discernement et mettre ces moyens techniques au service de la Civilisation chrétienne. Nous verrons alors que réaliser la royauté du Christ dans notre vie est à notre portée, si nous le voulons.

On dira que tout cet aspect culturel est étranger à la défense de la foi, que ce n’est pas l’essentiel, qu’il y a plus urgent. C’est ignorer que notre religion est celle du Verbe Incarné : elle a une dimension humaine et sensible ; elle ne se réduit pas à une dogmatique abstraite ni à une morale légaliste du permis et du défendu. C’est le propre des sectes que de mépriser la Civilisation ; l’essentiel pur, ça n’existe pas. Si notre Foi ne rayonne pas dans une Chrétienté, si elle ne s’exprime pas dans la beauté, si nous ignorons la Civilisation chrétienne, nous ne serons pas même capables de comprendre et de vivre notre Liturgie et, en définitive, toute la vie de l’Église. Pourquoi faut-il couler la Tradition de l’Église dans les formes modernes des derniers temps ?

Nous finissons par avoir honte d’être chrétiens, parce que nous avons oublié notre propre histoire, notre propre héritage, notre propre civilisation. Nos pays chrétiens ont été envahis par une culture matérialiste et anti-chrétienne, importée de l’étranger à coups de dollars. Nous subissons un génocide spirituel et culturel. Tout cela, nous le savons. Il est temps de comprendre que le Christ-Roi n’est pas une idéologie, mais la réalisation intégrale de la vie chrétienne.

Quant à l’aspect proprement politique, l’histoire montre nombre de cas de retournements et de bouleversements de situation. Les exemples ne manquent pas aujourd’hui de combats pour défense des mœurs chrétiennes et d’organisations qui, courageusement, défendent ce qui reste des institutions et du droit naturel et chrétien. Bien plus, ces combats devraient-ils ne pas aboutir immédiatement à une victoire politique, le fait d’y participer fait partie de l’éducation à la fidélité et à l’engagement chrétiens. Qui ne participe pas de manière concrète au combat de la politique chrétienne risque fort de tomber tôt ou tard dans la tiédeur et l’abandon.

Avoir une mentalité de vaincus ou de fatalistes est tout l’opposé de l’esprit du Christ. Le Christ-Roi n’est pas une idéologie, mais bien la réalisation concrète et intégrale de la vie chrétienne.
« La grande difficulté pratique du chrétien sera toujours de voir le Christ victorieux à travers les sombres nuages des événements humains. » [3]
Une des marques du livre de l'Apocalypse est justement de ne faire aucune différence entre le triomphe final du Christ à la fin des temps et son triomphe dans le temps présent. Tout en attendant l’avènement du Royaume, nous savons qu’il est déjà là, actuellement, et que le Christ nous a confié sa réalisation.


Voir notre article : Le Christ-Roi dans l'année liturgique...
Voir un passage du De REGNO de saint Thomas d'Aquin sur le Christ-Roi...



[1] Dom Schuster, Liber sacramentorum, IX, p. 82.

[2] Gustave Corção, La découverte de l’autre, p. 197.

[3] Dom Anchaire Vonier, La victoire du Christ.